Pourquoi prendre le temps de réfléchir à sa stratégie serait l'apanage des grands groupes ?
- jean-michelbeziat
- 15 mai 2024
- 6 min de lecture
« Aucune organisation humaine espérant exister durablement ne peut faire l’économie d’une véritable réflexion stratégique sauf à s’en remettre à la chance. »
Lorsque l’on parle conseil en stratégie en général et d’entreprise en particulier, les noms qui viennent à l’esprit sont très souvent ceux de grands cabinets comme le Boston Consulting Group, McKinsey, KPMG GSG ou EY-Parthenon. Cette apparente prévalence des grands cabinets internationaux sur ce sujet peut laisser penser que seules les grandes organisations, principaux clients de ces structures, ont d'une part le temps, d'autre part les moyens et enfin le besoin de s'offrir la technicité embarquée dans les concepts et outils d’analyse que ces cabinets maîtrisent. Ce sentiment est d’autant plus fort que certains cabinets de premier plan, dont l’activité principale n’est pas l’analyse stratégique comme des cabinets d'expertise comptable par exemple, s’autocensurent sur ces sujets. Le président d’un cabinet d’audit et d’expertise comptable d’envergure nationale et leader sur son marché me disait, alors que nous réfléchissions à la mise en œuvre d’une nouvelle offre conseil groupe à destination des PME, que le terme « Conseil Opérationnel » lui allait très bien tant il ne se sentait pas légitime à utiliser le mot Réflexion Stratégique dans son offre de services.

Cette réalité, pour le moins surprenante, porte en elle le risque, pour les structures plus modestes et en particulier les PME et TPE, de rendre difficile voire impossible l’accès aux concepts les plus avancés en matière d’analyse et mise en œuvre stratégique au motif, évidemment fallacieux, que leurs problématiques ne sont pas d’un niveau nécessitant de tels outils, un peu comme si on cherchait alors à écraser une mouche avec un marteau-pilon…
Or, si l’étendue et la complexité des problèmes à gérer diffèrent évidemment selon la taille, l’enjeu est le même pour toutes les entreprises : penser et mettre en œuvre sa stratégie de façon à continuer à se développer au mieux. Et comme aucune raison valable ne permet de considérer les outils et concepts issus de la recherche sur ce sujet comme inadaptés à certaines organisations, tout comme il ne saurait y avoir de réflexion stratégique "low cost", il est de la responsabilité des dirigeants de chaque organisation d’une part de connaître ces outils et d’autre part de mener à bien ce travail de réflexion stratégique en interne ou en n’hésitant pas à solliciter des conseils extérieurs.
Dans un monde de plus en plus difficile à appréhender où tout peut être remis en cause quasiment du jour au lendemain, et même si cela rend l’exercice toujours plus compliqué, il n’y a qu’une seule certitude : aucune organisation humaine espérant exister durablement ne peut faire l’économie d’une vraie réflexion stratégique sauf à s’en remettre à la chance.
L’objet des premiers articles de ce blog est donc de présenter de façon synthétique l’ensemble des concepts à l’œuvre dans ce travail de réflexion et de mise en œuvre opérationnelle de la stratégie. Principalement à destination des dirigeants de TPE et PME, ce travail d’acculturation a pour ambition de les convaincre que ces outils sont pertinents pour et utilisables par toutes les structures sans considération de taille.
Mais avant d’entrer dans le détail de ces outils, il convient dans un premier temps de planter le décor et d’expliciter le cadre dans lequel nous allons évoluer.
1. LA REFLEXION STRATEGIQUE : LE CADRE
Un changement de paradigme
L’abondante littérature qui traite de la réflexion stratégique d’entreprise aborde généralement de façons diverses et plus ou moins étendues les trois questions suivantes :

Comment identifier le(s) produit(s) ou service(s) que l’entreprise devrait proposer à quels clients pour réussir ?
Quel modèle de domination doit-elle choisir pour s’assurer des profits durables ?
Sur quel(s) avantage(s) compétitif(s) durable(s) s’appuyer pour maintenir ses positions sur son marché ?
En clair, selon cette littérature, l’objectif central des réflexions stratégiques menées par l’entreprise est d’identifier la meilleure adaptation possible à son environnement pour lui permettre d’acquérir une position dominante durable et la défendre.
Si ces questions explicitent les principaux axes de la réflexion stratégique, elles oublient une chose importante : elles omettent de définir l’objectif global dans lequel ces réflexions s’inscrivent. Ou plus exactement, cet objectif global dans lequel elles s’inscrivent est préexistant et sous-entendu parce que considéré jusqu’à présent comme immuable dans la pensée capitaliste ainsi que l’a exprimé de façon très radicale Milton Friedman (économiste américain 1912 – 2006) : « Le seul objectif d’une entreprise est de gagner de l’argent pour ses actionnaires ».
Or, depuis les années 90, la recherche socio-économique a fortement impacté la perception que l’entreprise a de son environnement, de ses interactions avec celui-ci et des responsabilités qui en découlent. Les réflexions mises en avant par ces travaux ont eu pour conséquence une modification profonde de la vision que l’entreprise avait d’elle-même et de ses responsabilités.
« L’intégration des attentes des parties prenantes dans l’équation impacte l’entreprise jusque dans la raison même de son existence. »
En effet, ces travaux ont entrainé le passage d’un modèle centré quasi exclusivement sur l’entreprise et ses actionnaires à un modèle intégrant l’ensemble des parties prenantes à l’action de l’entreprise. Proposée par R. Edward Freeman (philosophe américain né en 1951 ), dès le milieu des années 80, c’est plus récemment que les conséquences de cette approche ont réellement été comprises par les entreprises dans toutes leurs dimensions. Car loin de se limiter à une simple adaptation du management de l’entreprise, l’intégration des attentes des parties prenantes dans l’équation impacte l’entreprise jusque dans la raison même de son existence.
En effet, si la prise en compte exclusive des attentes de ses actionnaires avait pour conséquence évidente de désigner la recherche du profit financier comme seule et unique génération de valeur attendue de la part de l’entreprise, élargir cette prise en compte aux attentes de toutes les parties prenantes à l’action de l’entreprise modifie nécessairement la définition de cette notion de valeur.
Qui dit multiplicité des intervenants dit de fait multiplicité des définitions de cette notion de valeur avec comme conséquence inévitable que celle-ci ne peut plus être circonscrite à sa seule dimension financière.

Et dans la mesure où il est désormais très difficilement défendable pour une entreprise de penser son existence au monde en ignorant la multiplicité de ces attentes, on voit mal comment sa réflexion stratégique pourrait ne pas en être impactée. Et ce d’autant plus dans un monde aussi ouvert et communicant que le nôtre.
Cela étant, une stratégie, même long terme, ne peut être considérée comme coulée dans le bronze et immuable. Toute entreprise doit s’adapter à tout ou partie des contraintes induites par les évolutions que connaît son environnement. Dans la mesure où ces évolutions deviennent à la fois plus fréquentes mais surtout plus radicales, cette nécessité d’adaptation fréquente concerne également la stratégie de l’entreprise qui n’est plus aussi durable qu’elle a pu l’être par le passé. A contrario, il est permis de penser que les principales attentes des parties prenantes sont, elles, beaucoup plus stables dans le temps. Se pose alors une difficulté :
Comment préserver cette capacité d’adaptation stratégique tout en présentant aux parties prenantes des « garanties » quant à la prise en compte durable de leurs attentes respectives ?
Dans la mesure où il est évidemment inenvisageable de soumettre chaque décision stratégique de l’entreprise à la « validation » collective des parties prenantes, sur quelle « norme » l’entreprise pourrait-elle s’appuyer pour assurer les tiers que ses évolutions stratégiques respectent « par nature » leurs attentes et leurs valeurs ? Répondre à cette question semble imposer de doter l’entreprise d’un cadre dont le rôle sera d’« encapsuler » les décisions de l’entreprise en général, et la réflexion stratégique en particulier, dans un ensemble de valeurs à même de rassurer les parties prenantes sur l’intégration a priori de leurs attentes dans toutes les décisions prises par l’entreprise.
Ce cadre long terme c’est la notion nouvelle de « Raison d’Être » qui le pose. En effet, selon la définition qu’en donne la loi PACTE, la raison d’être « est un projet entrepreneurial répondant à un intérêt collectif et qui donne sens à l’action de l’ensemble des collaborateurs. ». D’après cette définition, la raison d’être explicite la façon dont l’entreprise décide d’interagir avec son écosystème et la société tout entière, elle porte ses valeurs fondamentales qui doivent sous-tendre toutes ses décisions, stratégiques ou pas.
Dans les différents articles postés sur ce blog, nous verrons comment aborder cette notion de raison d’être et la mettre en évidence au sein de l’entreprise, nous traiterons ensuite des liens qui existent entre Raison d’Être et Stratégie et la façon dont ils influencent la définition de celle-ci. Nous présenterons également les outils et concepts utilisés pour enrichir la réflexion stratégique.
Pour ce qui nous occupe pour l’instant, il est important de retenir qu’au-dessus de la réflexion stratégique il peut exister aujourd’hui une notion qui exprime pourquoi l'entreprise existe au monde ainsi que ses valeurs fondamentales avec pour conséquence évidente d’inscrire la réflexion stratégique dans cette expression.

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